De toutes les photographies sorties de mes appareils ces 50 dernières années, je reste encore surpris que les deux plus mémorables (de par la réponse du public) soient deux photos de loup, prises le même mois de la même année. Il semble que ma mission ait été de “parler” au nom du loup. Ma formation de journaliste m'a peut-être poussé à raconter l'histoire du loup parce qu'il a été et demeure, je le crois, le plus persécuté et le plus incompris de tous les animaux.
Dans les années 80 j'ai eu le privilège de vivre tout proche, au quotidien, avec une meute de loups blancs, durant une période de trois ans, sur l'île d'Ellesmere, haut arctique canadien. J'étais en reportage pour la National Geographic Society, réalisant un documentaire télé et un article pour le magazine. Un livre aussi s'en est suivi : “White Wolf”. J'évalue cette expérience comme l'une des plus gratifiantes et précieuses de ma carrière. Au quotidien je pouvais voir et photographier des scènes incroyables d'interaction et de comportement des loups. Ces riches expériences étaient si concentrées que sur le moment j'en perdais de mon objectivité pour déterminer le plus important visuellement. Naissance, mort, chasse et mise à mort des proies étaient observées et enregistrées par mes appareils. Chaque jour j'étais le témoin de scènes uniques et jamais observées auparavant.
Un jour en plein été, alors qu'à cette période de l'année le soleil ne se couchait pas, me permettant de photographier 24 heures sur 24, un groupe de 7 loups en chasse le long du rivage recherchait leur potentiel repas. Le mâle dominant, leader du groupe, a senti quelque chose d'attirant un peu plus au large et il partit explorer les morceaux de glace flottant en vue d'un éventuel poisson échoué. Le cadrage de l'image est peut-être trompeur car il ne montre pas la rive se trouvant juste sur la droite. Alors que le loup sautait dans l'eau puis de radeau de glace en radeau de glace, je ne soupçonnais rien de remarquable dans mon viseur... je prenais simplement les photos. A ce moment on n'était pas encore à l'ère du numérique et je n'avais pas l'avantage de passer en revue mes photos immédiatement, et j'ai mis de côté le souvenir de cette scène avec les centaines d'autres de cette semaine-là. Me trouvant dans un endroit très isolé de l'extrême nord canadien je n'envoyais mes films à développer au National Geographic qu'au bout de plusieurs semaines. Lorsque l'éditeur du magazine fit la sélection de diapos Kodachrome pour cette série-là, la photo du loup sautant sur la glace sortit du lot pour devenir la photo principale et le point de départ de l'article... puis au cours des années devint l'une des photos de ma carrière ayant ce fameux “pouvoir marquant”. Je pense que c'est dû à une certaine émotion connectée à l'image, peut-être la vulnérabilité ou un sens du danger.
Je n'ai jamais entendu de description précise de la part de quelqu'un, de ce qui l'attire vraiment dans cette photo. Le subconscient est une puissante force qui continue de m'échapper quand j'essaie de prédire ou faire une photo importante.
Voir le tirage fine-art, signé par Jim Brandenburg.